La Prose du transsibérien

de Blaise Cendrars
par Jacques Probst
du 28 septembre au 10 octobre 2010

voix : Jacques Probst
drums : Pierre Gauthier
éclairage : Liliane Tondellier
régisseur : Gianni Ceriani
administration et diffusion : Erika Titus

« En ce temps là j'étais en mon adolescence, j'avais à peine seize ans et je ne me souviens déjà plus de mon enfance ... »

Ainsi s'ouvre la Prose du Transsibérien qu'en 1913 à Paris, Blaise Cendrars à écrite, et ainsi Cendrars a-t-il écrit le plus beau poème du XXe siècle, mais de nos jours, c'est moi qui le dis, et le dit avec moi Pierre Gauthier sur sa batterie. Notre cheval de bataille, comme on dit. Pierre et moi voyageons dans le même wagon tandis que Cendrars fume des cigarettes et boit des p'tits verres dans la locomotive.

Voilà maintenant dix ans qu'à Genève, Gauthier et moi n'avons pas jeté d'une scène dans une salle les rails de cette Prose qu'un jour de 1913 et sans encore me connaître, Cendrars avait écrite pour que je la dise.
Né en 1946, Gauthier a dépassé la soixantaine, et moi-même, né en 1951, j'y serai l'année prochaine, mais lui et moi nous sommes toujours juré, outre notre amitié, qu'en chaise roulante au bord de nos tombes, nous trouverions encore la force de faire rouler ce train de Sibérie. Mais nous sommes loin d'en être là, aussi, profitant de notre jeunesse tant qu'elle nous poursuit.

Le hasard a bien voulu, rue des Pâquis, l'autre jour, mettre sur le trottoir de ma promenade Gianni Ceriani, responsable du T/50, et qui me dit libre son théâtre pendant tout le prochain mois de février, et alors, si je veux en profiter ... Et bien sûr, je veux en profiter, en faire profiter Gauthier, la Prose de Cendrars (précédé par Les Pâques à New York) et bien entendu tout un public qui, j'en suis persuadé parce que toujours c'était ainsi avec ce poème balancé d'une scène, ne manquera pas de venir nous voir et nous entendre.
« En ce temps-là j'étais en mon adolescence, j'avais à peine seize ans ... »

J'en avais quinze, moi, quand ce poème est venu se planter sous mes yeux, et quasi immédiatement dans ma gorge, car aussitôt lu, j'en ai fait lecture publique au centre de loisirs d'Aire, qui était alors mon quartier.

A vingt ans, trois semaines de représentations sur la scène du Théâtre de Poche que dirigeait Gérard Carrat, avec autour de moi un quartet de jazz dont déjà Gauthier tenait la batterie.

Quinze ans plus tard, j'ai remis ça sur les rails dans toute la Suisse Romande avec Patrick Mamie qui avait sur ses genoux son accordéon.

Encore plus tard, et jusqu'à dans longtemps, je voyage en Sibérie avec Pierre Gauthier, ses trois ou quatre tambours et ses cymbales et tout le talent qu'il jette dessus.

Miriam Cendrars, la fille de Blaise, qui a pris quelques fois le thé chez moi, est venue tout exprès à Neuchâtel, un soir, nous entendre, Pierre et moi, raconter le train de son papa.

Elle a murmuré à mon oreille: « Vous avec, Jacques, la voix que Blaise n'avait pas », car elle appelle Blaise son père, comme si des deux, il était le fils et elle la mère.
A chacune de nos rencontres, elle me redit la même chose: « vous avez, Jacques, la voix ... »

Puisque c'est comme ça, autant m'en servir pour les servir, Cendrars et le train transsibérien qu'il a, très jeune, construit d'encore ses deux mains pour moi. (II perdit peu après l'une d'elles avec le bras dans la Grande Guerre.)

Jacques Probst