Pourquoi donc y a-t-il des fleurs ?

10 au 16 juillet 2021

tous les soirs à 20h

de Philippe Jaccottet
Théâtre Adèlie 2

durée du spectacle :1h10

mise en scène : Michel Voïta
dramaturgie : José-Flore Tappy
création lumières : Hervé Audibert
scénographie : Nicolas Pahlisch
ingénieur son : Louis Philippe Schneider
régisseur : Zacharie Heusler
assistante : Florence Quartenoud
administration : Claudine Corbaz

avec : Michel Voïta

Pourquoi donc y a-t-il des fleurs ? Sur scène, il y a un homme au travail. Obstinément. Incessamment. Comment dire au plus près cette réalité qui semble en contenir une autre au plus secret d’elle-même ? Par la poésie ? Par la prose ? Dans la continuité de son travail et après l’aventure des « Dire... » Michel Voïta nous fait redécouvrir l’oeuvre du poète vaudois Philippe Jaccottet. Les fleurs sont ses paisibles messagères d’un « autre » monologue création monologue création monde. « La beauté ne saurait être que beauté ». Ses émotions, ses bonheurs, ses éveils d’attention devant un verger d’amandier lui assurent qu’il eût été incompréhensible qu’elles ne fussent pas liées à « une pensée dont le monde matériel renferme et voile le secret. »

Michel Voïta, l’obscure et éclatante beauté de Philippe Jaccottet

On sort ce soir applaudir à tout rompre un comédien-funambule d’exception : Michel Voïta. Le fil entrelacé sur lequel il marche comme dans un jardin de braises fraîches /sous leur abri de feuilles/ un charbon ardent sur la bouche/ jongle et psalmodie, en perpétuelle recherche d’équilibre, ce sont les mots du poète Philippe Jaccottet. Seul en scène, brièvement traversée par son régisseur Zacharie Heusler, le voici dans une chambre « caldérienne » (de Calder, le sculpteur américain), assemblage de formes composé d’un lit avec deux oreillers blancs, couverture grise, une lampe-livre posée sur une petite table, une horloge (numérique), un micro, un mobile. Pour tout dire : Quelque chose de flottant confusément dans ce fond, la halte d'une nuée, ou d'un brouillard heureux.

Dans ce spectacle protéiforme si troublant, si émouvant et toujours surprenant – l’angoisse du gardien de but au moment du pénalty – Michel Voïta alterne les registres : plus bas, plus sombres, plus flamboyants quand le ciel d’un bleu intense se déchire, méditation sur le sens de la vie, récit-rêverie choral et polyphonique tout à la fois qui arrache à son chant l’annonce d’un autre univers. Le bras s’élève, la main s’arrondit et palpe le vide (...) que l'âge rend plus méfiant à l'égard de l'invisible ; parce qu'on commence à voir le travail de la mort de plus près, autour de soi, et en soi. Et l'autre travail, s'il existe vraiment, d'abord il a toujours été sans preuves décisives, et surtout, on commence à se demander comment il pourrait échapper à la dégradation et à la ruine, l'esprit lui-même finissant tôt ou tard par s'affaiblir. C'est cette pensée qu'il faut essayer de soutenir pendant qu'on le peut encore.

Après beaucoup d’années qui, avec à Michel Voïta, ont fait du théâtre une fête sans cesse renouvelée, c’est précisément ce que soutient ce comédien que tout inspire : le bruit du temps, la place de la nostalgie et des jeux d’enfants, la pure transparence d’un éclat lointain qu’un rien n’enchante : la vue d’un verger, d’une pivoine ou d’un amandier, la neige froide de l’hiver.

Tout un monde s’incarne dans ce monologue qui révèle Philippe Jaccottet dans le travail obstiné de l’écriture, ode à la beauté. Et ce questionnement : est-ce que tout est saisissable, est-ce que tout est dicible ? Ce à quoi répond le poète : Quand on vieillit, le regard intérieur se fait myope. On rêve moins. On devient plus avide et plus avare. On vieillit quand on commence à se retourner.

Quelle émotion et quel bonheur que de partager ce retournement, ces mots plus vrais que d’autres qui éclairent le passage – inexorable - du temps.

 
Patrick Ferla